Comme si ça ne suffisait pas ! Joanne Kathleen Rowling joue avec le sang-froid de ses lecteurs. Après avoir tué le bon Albus Dumbledore, directeur de Poudlard, la célèbre école des sorciers, dans son sixième tome, Harry Potter et le Prince de sang mêlé (Gallimard, 2005), elle vient d'indiquer qu'elle pourrait faire mourir Harry lui-même dans son septième et dernier opus à paraître sans doute l'an prochain. Un art consommé de mettre en pratique le mot d'Oscar Wilde : "Le suspense est terrible, j'espère qu'il va durer..."
Dans une interview à la chaîne de télévision britannique Channel 4, lundi 26 juin, la romancière écossaise a indiqué que deux de ses personnages principaux mourraient dans l'épisode final qu'elle était en voie de terminer. "J'ai écrit le chapitre final à peu près en 1990, c'est pourquoi je sais exactement comment la série va se terminer", a-t-elle déclaré. Ayant eu l'idée de sa saga dans un train reliant Manchester à Londres, J. K. Rowling, 40 ans, a dans la tête le plan de sa série depuis l'origine. Ce dénouement, elle l'a gardé secret, caché dans un endroit d'elle seule connu. Aujourd'hui, elle reconnaît qu'il a été "un peu modifié" : "Un personnage est en sursis, explique-t-elle. Mais je dois dire que deux vont mourir. Il fallait payer un prix, nous avons ici affaire au Mal absolu. Ce ne sont pas des personnages secondaires qui sont visés. Ce sont des personnages principaux qui sont attaqués."
Interrogée pour savoir si le jeune sorcier lui-même ferait partie des victimes, la romancière a déclaré qu'elle n'avait jamais été tentée de le tuer avant l'épisode final. Un peu auparavant, dans la presse anglaise, elle s'était dite "triste de devoir se séparer d'Harry Potter" - une formule ambiguë pouvant renvoyer au personnage comme à l'entreprise romanesque. Mais depuis cette interview à Channel 4, le doute n'est plus guère permis. "Je peux tout à fait comprendre l'état d'esprit d'un auteur qui pense : je vais le tuer, parce que ça veut dire que quelqu'un d'autre ne va pas se mettre à écrire une suite, dit-elle. Comme ça, l'histoire se terminera avec moi, et quand je serai morte et enterrée, on ne pourra plus tenter de faire revivre mon personnage."
Est-ce si sûr ? Jusqu'à quel point les romanciers ont-ils réellement le loisir de décider définitivement du sort de leurs héros ? Faisant le même raisonnement que J. K. Rowling, Conan Doyle avait lui aussi décidé de tuer Sherlock Holmes, en 1893, dans Le Dernier Problème. Accompagné du professeur Moriarty, le célèbre détective à pipe et casquette faisait une chute mortelle à Reichenbach (Suisse), libérant ainsi son auteur qui souhaitait se consacrer à un "travail littéraire plus sérieux".
Mais le public ne l'a pas entendu de cette oreille. Tollé général, monceau de courriers de protestation et même grèves dans les usines britanniques ont conduit Sir Arthur, en 1903, à "ressusciter" son héros dans la Maison vide. Et même à livrer 33 nouvelles aventures de son infaillible détective.
Le vieux poncif de la créature échappant à son créateur ne serait-il pas dénué de tout fondement ? Plus près de nous, l'écrivain sicilien Andrea Camilleri confie avoir toutes les peines du monde à se débarrasser d'un personnage aussi célèbre que Montalbano. "Les lecteurs m'écrivent pour me dire qu'il est à eux et que je ne peux pas en faire ce que je veux", confiait-il récemment au Monde des livres. Ayant vainement cherché à le mettre à l'écart, Camilleri a dû se résoudre à l'idée qu'il est "lié à lui". Quant à le faire mourir, autant ne pas y penser.
Mais J. K. Rowling, fidèle au plan romanesque qu'elle a toujours suivi, a décidé de passer outre ces considérations, allant délibérément à l'encontre de toute idée de "happy end". Lors d'une conférence de presse à Londres, au début de son entreprise, elle n'avait pas écarté l'idée de passer à un autre type d'écriture après Harry Potter. Y arrivera-t-elle ?
Ce test sera l'ultime occasion, pour les lecteurs, de vérifier l'étendue des vrais pouvoirs d'Harry Potter.